L’homme est un gamin de 90 ans, au regard vif et facétieux, aux yeux délavés, couleur d’océans.
Tout chez lui est salé.
Il nait à Toulon, où une maman attentive, va promener le seul mâle d’une importante portée, le long des quais de l’arsenal. Mais ce grand air marin ne suffit pas à rassurer la famille, sur un air malingre qui lui est attribué, et qui va lui octroyer plusieurs mois de préventorium, chez nos amis bretons, histoire de compléter ses attirances maritimes, aux saveurs des galettes de PONT-AVEN !
Il faut dire que toute la famille est bretonne, même si elle est plus ou moins exilée en région parisienne. De Toulon à Plougastel, Michel dessine la mer et surtout les bateaux, en fabrique avec de vieux bouts de ce qu’il trouve, écorce, liège. Il est un peu dans son monde créatif et obtient un C.A.P., qui lui permet très vite de rejoindre des activités et formations, plus adaptées à sa créativité.
Les premiers plastiques font leur entrée dans l’activité navale où tous ses parents proches évoluent. Notre génial inventeur est alors le premier à faire la synthèse entre les différentes techniques de bois, de collage, de cintrage, de fibre, de moules… Il commence à dessiner des bateaux, pour lui d’abord et pour les autres ensuite. Son crayon va permettre à quelques chantiers locaux d’exploser, grâce à la vivacité de son style, la nouveauté de ses carènes qui font très vite un malheur en régate. Des séries voient de jour, dont certaines vont frôler le millier d’exemplaires…
A cette époque, on est juste après-guerre, la propriété industrielle ne protège queue dalle, en dehors des patrons malhonnêtes qui démontent la nuit les moules de notre inventeur, pour aller les rentabiliser du côté de la Suisse !
Dépité, Michel décide alors de quitter ces chantiers glauques et accepte une offre de contremaître à Marseille, chez les fadas… Il ne part pas les mains vides, puisqu’entre-temps, le séduisant jeune homme a séduit et embarqué Suzanne, la superbe secrétaire du patron…
Sur le chantier du Pharo, il s’impose et les plus grands vont venir lui demander, le dessin d’un bateau, Alain COLAS, Éric TABARLY… et sous ses crayons vont naitre Pen Duick V et Club Méditerranée, l’immense quatre mâts de Colas.
Mais les géants passent de mode et le bel oiseau fini sur un quai de l’arsenal de Papeete, alors que Colas lui, disparait avec Manureva. Bernard TAPI, rentre alors de croisière estivale, sur un bateau de 20 mètres qui lui a paru, pour les vacances, dérisoirement petit ! Il vient voir Michel et lui exprime son désir de posséder un bateau à la taille de ses ambitions. La réponse de Michel, non dénuée d’humour, lui indique que le bateau de Colas, semble le seul, répondant à une telle demande…
- BT : Et il est où ce rafiot ?
- MB : Pas très loin à Papeete !
- BT : OK, j’organise un jet, je t’y emmène la semaine prochaine…
La semaine suivante, en Polynésie :
- MB : Voilà la bête !
- BT : Tu voudrais me faire acheter « cette vieille merde » ?
- MB : Ca peut redevenir un superbe bateau !
- BT : Tu jures de m’en faire le plus beau voilier du monde ?
- MB : Parole de Toulonnais Breton
- BT : OK, je l’achète, mais tu risques d’en chier !….
Suffisait alors pour Michel et Suzanne, de contacter Teura, la compagne de Colas et mère de ses trois enfants, pour acheter l’épave. Il fallait expertiser la coque qui appartenait au représentant des créanciers d’une société Colas en faillite, les dédommager, régler les frais, aider Teura qui se trouvait dans le plus profond dénuement et assurer aux enfants héritiers du peu restant, une aide financière… A Marseille, ce serait un truc à te casser les aliboffi ! Pour le couple Bigouin, une mission à la fois humanitaire et belle. Tous les problèmes sont pris à bras le corps, la tempête s’apaise grâce à Tapi qui se montre financièrement grand seigneur devant les sollicitations de Michel et Suzanne et de sa propre épouse Dominique, avec qui ils vont rester très liés. Le bateau va être convoyé vers Marseille…
Un équipage est recherché, on le veut Français, issu de la marine, pour piloter un yacht sous pavillon national. Le nom de baptême devra être à la hauteur du navire. C’est Suzanne qui propose Phocée, Tapi grimace un peu, Michel grand admirateur des femmes proposera Phocéa, l’aventure est lancée !
Un pont entier est ajouté, tout l’intérieur est restructuré, entre l’architecte et le propriétaire, les engueulades vont bon train, l’un veut du beau, dans une méconnaissance quasi complète des impératifs techniques, l’autre veut du bon. Il va en sortir le plus beau trois mats qui ait jamais navigué, un yacht somptueux, qui déboule à 30 nœuds et explose le record de l’Atlantique !
Michel et Suzanne sont à Corfou sur Phocéa en croisière. Elle se confie à Dominique, lui disant sont regret de n’être unie à Michel que devant Monsieur le maire. Ils étaient en effet tous les deux divorcés ! Une grande fête est organisée, un pope recruté, des alliances achetée. Chez les orthodoxes, on peut se marier… devant le même Dieu ! Contradiction des hommes… La surprise est totale, la fête superbe, la mariée est belle et heureuse, la générosité des Tapi proverbiale.
Aujourd’hui, Michel nous a conviés à partager son déjeuner à Pointe Rouge, sur la plage à Marseille. Son regard s’est illuminé lorsqu’il m’a annoncé le « plat du jour » : Tête de veau, sauce Ravigote. Il a bien tenté en plus, la fricassé de supions en entrée, mais Suzanne lui a fait les gros yeux ! On s’est vengés au dessert en se jetant sur un délicieux Pavlova. Les filles elles, n’avaient demandé que deux cuillères, pour tenter de minorer notre taux de cholestérol !
Durant tout le repas, les yeux de nos deux amoureux brillaient lorsqu’ils nous ont conté leurs 70 ans de vie commune, leur vision du monde, leurs immenses espoirs, à défaut d’incommensurables projets.
La tête de veau, valait le détour.
Leur amitié aussi.
A lire : Michel BIGOUIN, « LE GRAND VOILIER » Editions ZERAQ – 2018
Il n’y a pas vraiment 1 mètre entre Martine et ce beau Monsieur !!!😀😀😀😘
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Oui, mais ça, c’était AVANT😁
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